La CSU2030 a organisé sa réunion annuelle à l'occasion de la...
15 juin 2020
Il s’agit d’un article de blog commun, rédigé au nom de l’équipe de base de la CSU2030 ainsi que des partenaires engagés dans l’accélérateur de financement durable de la santé
La pandémie de COVID-19 a balayé le monde entier, remodelant le paysage sanitaire mondial et déclenchant une crise économique plus profonde que tout ce que l’on avait pu voir depuis la Grande Dépression. La pandémie a clairement montré à quel point la sécurité sanitaire et la sécurité économique sont interdépendantes.
Si la sécurité sanitaire - réduire la vulnérabilité des sociétés face à des pandémies comme celle de la COVID-19 - est un objectif à part, elle est indissociable des efforts déployés pour progresser vers la couverture sanitaire universelle (CSU). Ni la CSU ni la sécurité sanitaire ne pourront être atteintes sans l’instauration de biens communs pour la santé, produits par des systèmes de santé solides et résilients. La crise aura clairement mis en lumière cette interdépendance.
La riposte immédiate et globale pour la lutte contre la COVID-19 doit impérativement renforcer les systèmes universels qui contribuent à la fois à la sécurité sanitaire et à la CSU. Agir en ce sens implique de réexaminer la manière dont les ressources nationales et l’aide au développement, actuellement canalisées vers le secteur de la santé, devront être utilisées pour se protéger contre les futures urgences sanitaires et pour maintenir la couverture par les services essentiels.
La COVID-19 aura un impact sur le financement public de la santé dans les pays et sur les priorités de l’aide publique au développement en faveur de la santé.
La pandémie de COVID-19 a provoqué un énorme choc économique qui n’épargne aucun pays. Le Fonds monétaire international prévoit que plus de 170 pays connaîtront une croissance négative de leur revenu par habitant en 2020, ce qui constitue un revirement brutal par rapport aux prévisions d’il y a quelques mois seulement, lorsque les projections tablaient sur une croissance dans 160 pays. Selon les estimations, la récession économique engendrée par l’épidémie de COVID-19 pourrait faire basculer 71 millions de personnes dans l’extrême pauvreté en 2020, l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud étant les régions les plus touchées. Alors que l’intensité et la durée de la crise sanitaire sont incertaines, les gouvernements se hâtent de mobiliser et d’affecter des fonds pour des interventions d’urgence face à la COVID-19 afin de maintenir la stabilité macroéconomique, tout en atténuant les chocs pour les ménages vulnérables, les entreprises et les services essentiels. Au cours des derniers mois, plus de 90 nations ont demandé le soutien du FMI et plus de 100 pays ont bénéficié d’une aide de la Banque mondiale pour les accompagner dans le cadre de la riposte à la COVID-19.
Les conséquences du choc économique sur les dépenses de santé pourraient être considérables. À court terme, il se peut que les dépenses de santé augmentent à mesure que les pays montent en puissance pour réagir face à la crise. À moyen terme, l’on peut attendre à voir diminuer les recettes fiscales et augmenter les obligations liées à la dette publique, ce qui réduira la marge de manœuvre budgétaire disponible pour les dépenses publiques. Les pays dont le système de financement de la protection sociale et de l’assurance-maladie dépend des cotisations sociales seront touchés de plein fouet, du fait de la hausse du chômage et de la baisse des salaires. Une première analyse faisant appel aux projections du FMI et du Groupe de la Banque mondiale concernant l’impact économique pour certains pays d’Asie indique que sans mesures d’adaptation et/ou sans redéfinition des priorités, les dépenses publiques consacrées à la santé vont diminuer. Les crises précédentes nous ont également appris que les femmes et les enfants vivant dans une grande pauvreté sont touchés de manière disproportionnée par la fragilisation économique et sont ceux qui risquent le plus de subir les conséquences négatives qui en découlent en matière de santé.
La pression financière qui va s’exercer sur le secteur de la santé à moyen et long terme proviendra d’une part de la tension entre la diminution des recettes et la hausse nécessaire des dépenses liée à la nécessité d’investir davantage dans les fonctions essentielles de la santé publique, et d’autre part du retard ou de la renonciation à des soins essentiels pour des affections autres que la COVID-19. Les décideurs politiques, dans leurs démarches pour s’adapter et faire face à ces pressions, doivent se garder d’adopter des approches qui n’offrent au mieux que des ressources supplémentaires limitées au prix de rendre le système plus vulnérable aux chocs, par exemple des politiques qui lient le financement et la couverture à la situation de l’emploi.
Si les contraintes financières qui pèsent sur les pays sont évidentes, les conséquences de la COVID-19 sur l’aide au développement restent à découvrir. Les pays à revenu élevé ont été durement touchés, et le durcissement des contraintes budgétaires intérieures pourrait déboucher sur une certaine contraction de l’aide au développement, au moment même où les pays à revenu faible ou intermédiaire ont le plus besoin d’un appui. Devant un tel dilemme, il est nécessaire que les institutions financières internationales et les partenaires techniques qui sont en mesure de fournir l’assistance requise reçoivent le plus large soutien possible. Pour le secteur de la santé, la COVID-19 rend d’autant plus nécessaire pour les pays d’aligner leurs modèles de prestation de services, d’améliorer leurs modalités de gouvernance et de financement de la santé, et d’établir des priorités entre et au sein des services individuels et des services basés sur la population afin d’utiliser au mieux les ressources disponibles. Les organismes œuvrant dans le domaine de la santé doivent donc s’attacher à soutenir les pays tant pour la phase de riposte immédiate que pour les mesures de renforcement des systèmes de santé à moyen terme, afin de consolider les bases de la sécurité sanitaire et de la CSU.
Ces dernières années, la question des transitions et de l’affranchissement du soutien des donateurs a occupé une place importante dans les débats sur le financement de la santé dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire. Bon nombre de ces transitions sont corrélées aux seuils de revenu national brut (RNB) par habitant des pays. [1] Étant donné l’impact attendu de la COVID-19 sur la croissance économique et la capacité fiscale, les ressources nationales qui sont censées compenser la diminution du financement des donateurs vont être soumises à une forte pression.
Toutefois, la riposte à la COVID-19 offre également une occasion importante de mieux gérer la phase de transition et l’interface entre le financement national et le financement extérieur. Les partenaires doivent avoir la volonté commune de soutenir les systèmes de manière à les rendre plus efficaces et cohérents, dans la perspective d’une meilleure sécurité sanitaire et d’une couverture plus efficace par les services essentiels. Les approches passées ont eu des effets bénéfiques dans certains domaines bien précis, mais ont aussi mis en lumière des inefficiences qu’il est important de corriger, afin de renforcer la pérennité et de préparer les transitions. Les prochaines approches devront chercher à remédier au manque d’attention accordée aux biens communs pour la santé, y compris les opérations de santé publique, ainsi qu’à la fragmentation trop importante des circuits de financement des systèmes et des services essentiels, et à la multiplication des chaînes de responsabilité.
La préparation, et la capacité de riposte, à une pandémie doivent devenir l’« étape zéro » dans le programme de la CSU
La pandémie résonne comme un signal puissant, rappelant brutalement au monde que la préparation et la riposte aux épidémies constituent un bien commun pour la santé. Les systèmes de santé mal préparés et fragiles sont une menace pour la sécurité économique mondiale. Alors que le monde émerge de la réponse immédiate à la crise, les pays et les partenaires de développement doivent reconsidérer leurs priorités en matière de financement. Il leur faut placer les opérations essentielles de santé publique, telles que les systèmes de surveillance, l’eau et l’assainissement, ainsi que la promotion de la santé, au premier plan des stratégies de développement des systèmes de santé. Malgré des alertes répétées et leur prix relativement abordable, les biens communs destinés à des fonctions de santé telles que celles précédemment citées souffrent d’un manque cruel d’investissement. La planète entière peut maintenant voir en temps réel les conséquences de cette insuffisance d’investissement. Les pays se servent actuellement des fonds de riposte à la COVID-19 pour combler les lacunes en matière de surveillance, de systèmes de communication sur les risques et de moyens supplémentaires disponibles ; mais si l’on veut maintenir ces investissements sur le long terme, il faut que ces derniers soient effectués de manière réfléchie, en veillant à ce qu’ils soient alignés sur les autres initiatives de renforcement des systèmes de santé.
Les ressources nationales et extérieures devraient être utilisées plus efficacement pour maintenir et étendre la couverture par les services essentiels.
La contraction économique mondiale déclenchée par la pandémie exigera d’améliorer l’efficience dans l’utilisation des ressources, qu’elles proviennent de sources nationales ou de donateurs. Outre l’impact direct de la COVID-19, la pandémie aura un impact indirect important sur la couverture par les services essentiels (voir à titre d’exemple : a b, c, d, e, f). Les systèmes de santé doivent non seulement devenir résilients face aux futures épidémies, mais aussi faire en sorte que les gains durement acquis en matière de couverture par les services de santé essentiels soient protégés et étendus.
Pour les pays et leurs partenaires, ces efforts doivent passer par une collaboration avec la société civile afin de mieux faire valoir la nécessité d’un financement adéquat et collectif de la santé, en donnant la priorité aux biens communs pour la santé. Alors que les pays se hâtent de trouver des solutions pour combler les déficits de recettes, le moment est peut-être venu de mettre en avant ou de réexaminer les arguments plaidant pour des taxes favorables à la santé et une réduction des subventions aux énergies fossiles. Ces actions politiques pourraient offrir à la fois un espace budgétaire et des avantages en matière de santé. Dans un souci de pérennité, il faut également envisager de renforcer les systèmes de gestion des finances publiques et d’améliorer l’achat stratégique, de façon à ce que la couverture puisse être étendue et les ressources mieux utilisées.
Au niveau sectoriel, les ministères de la santé et les organismes connexes (par exemple, les fonds d’action sanitaire et sociale) doivent s'atteler à faire le meilleur usage possible des ressources publiques disponibles pour protéger et développer les services essentiels, et rendre compte en toute transparence des résultats obtenus. Cet objectif implique également d’améliorer la gouvernance et de porter une attention particulière à l’équité et aux personnes marginalisées et laissées de côté. Actuellement, la fragmentation excessive des dispositifs de financement empêche d’édifier des systèmes de santé adaptables et bien préparés, capables de fournir des services rentables à la population et des services individuels qualitatifs centrés sur le patient.
En conclusion
Les périodes de crise offrent une occasion unique de s’attaquer aux obstacles persistants qui sont restés longtemps hors d’atteinte. D’un point de vue historique, les investissements collectifs dont on bénéficie aujourd’hui sont souvent nés d’une volonté de réagir face aux périodes difficiles, mais ce serait une erreur de supposer que la logique et les solutions technologiques à elles seules sont suffisantes. La volonté politique, le plaidoyer des groupes de la société civile et des entreprises privées, ainsi que le soutien des partenaires internationaux jouent un rôle essentiel. La pandémie représente un tournant, un point de basculement vers des approches différentes dans le secteur de la santé, tant en termes de ce qu’il faut financer que d’instruments et de démarches novateurs inspirés des réflexions et des priorités ci-dessus.
Le Dispositif accélérateur ACT (Access to COVID-19 Tools) récemment lancé, et la reconstitution réussie, pour un montant de US$ 160 milliards, des ressources de GAVI, du Fonds mondial, du Mécanisme de financement mondial et de la Banque mondiale pour le financement des interventions d’urgence face à la COVID-19, sont l’occasion d’aider les pays à asseoir leurs systèmes de santé sur des bases plus solides, à la fois pour les biens communs en faveur de la santé et pour un meilleur accès aux services de santé essentiels sans contraintes financières (ou CSU). Le plaidoyer des groupes d’intérêt de la CSU2030, les engagements conjoints et la collaboration renforcée inscrite dans le Plan d’action mondial pour la santé et le bien-être de tous et son accélérateur de financement durable devraient contribuer à faire avancer ce programme.
[1] GAVI fonde ainsi ses critères d’éligibilité sur la moyenne du RNB par habitant des trois dernières années avec quelques ajustements, tandis que le Fonds mondial établit l’admissibilité à la fois en fonction du niveau de revenu et de la charge de morbidité. Pour la Banque mondiale, la transition vers la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) après la sortie de l’Association internationale de développement (IDA) est basée sur le niveau de revenu.
Les contributeurs spécifiques sont : Maria Skarphedinsdottir Équipe de base CSU2030, Santiago Cornejo GAVI, l’Alliance du Vaccin, Michael Borowitz Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Joe Kutzin Organisation mondiale de la Santé, Département Gouvernance et financement des systèmes de santé, Toomas Palu Groupe de la Banque mondiale, Santé, Nutrition et Population, Ellen Van de Poel Le Mécanisme de financement mondial (GFF), Susan Sparkes Organisation mondiale de la Santé, Département Gouvernance et financement des systèmes de santé.
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