Une déclaration des coprésidentes de la CSU2030 à l'occasion de...
24 avril 2020
Par Juliet Nabyonga-Orem ; Brendan Kwesiga ; Diane Muhongerwa-Karenzi ; Benjamin Nganda ; Seydou Coulibaly ; Alexis Bigeard ; Prosper Tumusiime.
Ce blog a été précédemment publié dans le British Medical Journal le 23 avril 2020
La flambée de COVID-19 impose des besoins additionnels de financement pour prévenir, détecter et traiter ponctuellement et efficacement les cas. Le sous-financement de la santé représente un problème persistant dans les pays africains, qui aboutit à une faiblesse des systèmes de santé et à des lacunes dans la prestation des services. Le financement exigé pour promouvoir un accès universel aux soins de santé primaires dans les pays à revenu faible est estimé à $US 86 par habitant. Mais les dépenses actuelles par habitant pour la santé vont d’à peine $US 29 au Niger à $US 792 aux Seychelles.
La Banque mondiale estime que les pays africains auront besoin de 1,5% à 3% du PIB à titre de financement supplémentaire pour se préparer au COVID-19, y répondre et le traiter. Mais les dépenses de santé actuelles exprimées en pourcentage du PIB vont d’à peine 3% en Gambie à 6% en Algérie. Dans cet article, nous nous demandons quelles ont été les mesures budgétaires adoptées par les 23 États membres de la région Afrique de l’OMS (pour lesquels des données sont disponibles), en nous centrant sur le financement national même si, avec les meilleures mesures possibles, le financement des donateurs continuera de toute façon à jouer un rôle important.
Estimation des ressources budgétaires pour la réponse au COVID-19
L’estimation du coût de la préparation, de la réponse et du traitement du COVID-19 varie selon les pays (figure 1). Pour les 23 pays, les estimations de coût vont d’un minimum de $US 3,6 millions à Maurice à un maximum de $US 295 millions au Bénin. Les variations de coût s’expliquent par la différence dans la taille/population du pays et donc le nombre projeté de cas, la période de calcul des coûts (par exemple six mois en République-Unie de Tanzanie) et si le plan était spécifique au secteur de la santé ou multisectoriel (par exemple au Rwanda).
Lever des fonds supplémentaires
En réponse à la pandémie de COVID-19, les 23 pays ont adopté des lois pour rendre possible une action plus rapide, donner aux dirigeants les pouvoirs d’adopter les mesures nécessaires, de prendre des décisions de gestion financière et de débloquer des budgets supplémentaires. Dans le cadre de ces lois, des comités investis de pouvoirs extraordinaires ont été créés pour décider de l’allocation des ressources (Bénin, Comores, Eswatini, Guinée, Mozambique, Nigéria, Seychelles, Tchad et Togo) ; des nominations spéciales (Comores, Guinée, Nigéria) et des déclarations contraignantes (Niger, Soudan du Sud) ont été faites. Dans certains pays, pas moins de quatre lois (Sénégal) ont été promulguées. L’événement commun à tous les pays a été la déclaration d’un état d’urgence qui donne la possibilité de dépenses accrues et plus rapides.
Les pays ont employé plusieurs mesures pour lever des fonds additionnels auprès de l’État. Ces mesures incluent une révision des priorités en réallouant les fonds des dépenses non prioritaires. Ainsi, le Kenya a réalloué $US 9 380 863 à l’emploi de nouveaux agents de santé. Le Nigéria a réduit les dépenses d’équipement de 20% et les dépenses récurrentes de 25% alors que des postes budgétaires non essentiels ont été suspendus. De même, le Bénin, Eswatini, le Gabon, la Gambie, le Rwanda, le Sénégal, les Seychelles et le Tchad ont réaffecté des fonds publics existants pour soutenir les activités de la riposte. D’autres efforts des pouvoirs publics se rapportent au déblocage de budgets supplémentaires comme aux Seychelles ($US 365 000) et au Lesotho ($US 849 707). L’Ouganda a aussi entrepris de légiférer sur les budgets supplémentaires. Le Ghana a créé un programme d’allègement dans la perspective du coronavirus à partir duquel $US 56 millions ont été alloués pour motiver les agents de santé.
La figure 2 montre les allocations des gouvernements à la réponse au COVID-19 en $US et exprimées en proportion du coût estimé du plan d’intervention du secteur de la santé qui est couvert par les sources publiques. Si les gouvernements ont engagé des ressources pour la phase initiale de la préparation et la réponse, c’est encore insuffisant pour couvrir le coût prévu dans la plupart des pays.
Les interventions supplémentaires prévues par les pouvoirs publics incluent le renoncement au salaire pour soutenir les activités de riposte. Le Président kenyan et son vice-président ont par exemple annoncé une baisse de 80% de leur traitement, tous les ministres ont accepté une diminution de salaire de 30%, de même que les secrétaires d’État (30%) et les secrétaires principaux (20%). Au Rwanda, les hauts fonctionnaires ont aussi accepté de minorer leur salaire pour soutenir la riposte. Néanmoins, dans les deux pays, on ignore si ces fonds seront alloués à la réponse du secteur de la santé au COVID-19.
Souplesse dans le décaissement et l’utilisation des fonds
Les gouvernements ont institué des mesures pour réduire la bureaucratie dans le décaissement, le flux et l’utilisation des fonds, y compris au niveau sous-national. Des mesures d’approbation rapide ont été employées comme dans le cas du Togo où le compte spécial du COVID-19 n’exige qu’une signature pour débloquer les fonds, alors que les demandes de fonds peuvent être envoyées par courriel. Les Comores ont formé une commission spéciale aux niveaux national et sous-national qui est chargée de garantir l’approbation rapide des demandes et des décaissements de fonds.
De nouvelles équipes et commissions spéciales aux niveaux national et sous-national présidées par des hauts fonctionnaires (Comores, Eswatini, Nigéria, République-Unie de Tanzanie,) et une agence spéciale de comptabilité pour traiter les finances (Gabon) sont parmi les mesures additionnelles. D’autre part, la Sierra Leone a eu recours à l’agence fiduciaire existante qui est responsable de la gestion financière et a rationalisé l’établissement de rapports et la comptabilité. Un flux direct de financement depuis le fonds central vers les niveaux sous-nationaux a été employé en Algérie, alors que les Comores et le Togo ont permis une option dans le cadre de laquelle les prestataires de services peuvent être rémunérés directement depuis le compte central.
Utilisation efficace des ressources mobilisées
Des efforts ont été faits de plusieurs façons pour garantir l’utilisation rationalisée des ressources. La mise en commun des ressources a été rendue possible par la création de fonds centraux dans plusieurs pays, par exemple aux Comores où un compte unique a été ouvert pour recevoir les contributions de différents partenaires. Le Nigéria et le Kenya ont tous deux créé un fonds de secours pour le COVID-19. Au Togo, un compte spécial a été ouvert avec la signature unique du Trésorier général de l’État où les fonds peuvent être mis en commun, avec également des mesures d’assouplissement pour garantir un décaissement rapide. Au Bénin, des procédures transparentes et participatives ont été instituées par le biais de plateformes consultatives où la mobilisation des ressources et les décisions sur les allocations de fonds sont prises selon les cas.
Ces mesures financières ont été jointes à des mesures complémentaires pour garantir la levée des obstacles financiers dans l’accès aux soins. Dans les 23 pays, tous les services liés au COVID-19 sont assurés gratuitement. Dans certains pays, cela cadre avec la prestation sans frais de services publics dans des centres publics alors que, dans d’autres, des exonérations spéciales pour les services relatifs au COVID-19 ont été instituées (Tchad, Bénin, Rwanda). Certains pays ont étendu la gratuité des services pour couvrir les frais de la quarantaine (Comores) alors que, dans d’autres, ces coûts sont pris en charge par les individus (Ouganda).
Recruter le secteur privé
Le secteur privé a répondu à l’appel et a soutenu la réponse au COVID-19 avec des contributions financières et en nature. Si les contributions continuent d’arriver, l’expérience du début de la crise montre que les pays avaient levé plus de $US 210 millions au 30 mars. Néanmoins, l’engagement du secteur privé dans la plupart des pays est encore exceptionnel et s’effectue principalement par le biais de structures établies pour la mobilisation des ressources, par opposition à une collaboration dans le cadre d’un partenariat public-privé systématique pour la santé. Par exemple, le Kenya a établi le Pacte national des entreprises sur le Coronavirus, comme mécanisme pour mobiliser le soutien du secteur privé autour de la réponse donnée au COVID-19.
Conclusion
Les États membres de la région Afrique de l’OMS ont pris des mesures pour créer un espace fiscal de manière à répondre à la pandémie de COVID-19, des mesures qui sont toutes fondamentales pour édifier des systèmes résilients de financement de la santé. Néanmoins, les mesures qui ont été introduites par la promulgation de lois doivent être institutionnalisées dans les systèmes de routine. C’est d’autant plus important en raison du grand nombre de flambées épidémiques signalées tous les ans par les États membres de la région Afrique de l’OMS. Ainsi, en 2018, 96 nouveaux épisodes de maladie ont été notifiés dans 36 des 47 États membres de la région Afrique de l’OMS, même s’ils n’entrent pas dans la catégorie des pandémies. Les partenariats existant entre le secteur public et privé, la mise en commun des fonds et les structures consultatives doivent être renforcés et adaptés pour répondre aux crises. Cela limitera le nombre de lois qui doivent être promulguées et de nouvelles mesures à introduire, mais cela garantira aussi une réponse rapide.
À propos des auteurs
1. Juliet Nabyonga-Orem ; 2. Brendan Kwesiga ; 1. Diane Muhongerwa-Karenzi ; 1. Benjamin Nganda ; 1. Seydou Coulibaly ; Alexis Bigeard ; 1. Prosper Tumusiime.
1. Programme de financement et d’investissement dans la santé, Groupe du cycle de vie et de la couverture santé universelle ; Organisation mondiale de la Santé ; Bureau régional pour l’Afrique ; Congo
2. Programme de financement et d’investissement dans la santé, Groupe du cycle de vie et de la couverture santé universelle ; Organisation mondiale de la Santé ; Bureau national du Kenya ; Nairobi- Kenya
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